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Interviews

Sylvain Saudan : entretien avec une légende

Contribution de Bernhard Scholz, skialpinist.com

21/03/2016
Bernhard Scholz
Il fait chaud, c'est une journée d'été. Sylvain Saudan nous reçoit dans son bureau des Houches, un petit village près de Chamonix. Le bureau est situé juste à côté du poste de police et se compose d'une petite pièce en forme de L avec une grande baie vitrée. De vieux skis sont posés dans les coins, des bibliothèques regorgent de dossiers, une commode est surchargée de bric-à-brac. Des piles de papiers et de magazines sont disposées ici et là sur les murs. Des photographies de montagne grand format dominent la scène. L'endroit n'est ni désordonné ni stérile - quelqu'un va manifestement à son travail tout en profitant de la vue sur la place du village.

Saudan, né en 1936, a 74 ans au moment de l'interview (2013), il est bronzé, robuste et donne l'impression d'être sympathique. Dès le début, il mène la conversation - ce qui me surprend car les skieurs-alpinistes que j'ai rencontrés jusqu'à présent sont plutôt taciturnes. Mais Sylvain donne une conférence sur l'aventure du ski de pente raide. Avec lui-même comme principal protagoniste, bien sûr. Il est conscient de sa position éminente. Son attitude est empreinte d'une décontraction naturelle qui est extraordinairement agréable et sympathique. Un gentleman plein de charme.

Avant l'interview, il me parle de sa vie professionnelle actuelle, dans laquelle il donne des conférences dans des entreprises et dirige une entreprise d'héliski dans l'Himalaya. Nous parlons de manière générale de la pratique du ski de pente et de l'origine des idées. On remarque régulièrement que Saudan louche vers la caméra et prend délibérément la pose. Au fil de la conversation, il devient de plus en plus proche, nous finissons par passer en revue sa collection de livres et il me montre fièrement des photos de lui en tant que skieur de falaise. Il est évident qu'il se sent bien dans son rôle de protagoniste de ce sport. On ne peut pas déceler chez lui d'allure ou d'arrogance. Toutefois, dès le début, il est clair qu'il s'agit de lui. De l'un des personnages les plus marquants du ski de pente

Avant l'interview, j'ai lu le livre de Paul Dryfus Extremes on Skies à son sujet. Saudan vient d'un milieu pauvre, il a grandi dans le Valais francophone. Il a commencé à skier très tôt, a participé à des courses de ski et a entraîné des équipes de jeunes. Sur le plan professionnel, il a d'abord travaillé comme chauffeur de camion avant de passer l'examen pour devenir moniteur de ski. En tant que tel, il a travaillé 12 mois par an autour du globe. Lors d'un séjour dans les Grisons, il a skié pour la première fois de sa propre initiative des couloirs raides au Rothorn dans le domaine skiable d'Arosa en avril 1967. Peu de temps après, il a gravi le flanc nord du Piz Corvatsch à Saint-Moritz. De retour en Valais, il fait, comme souvent auparavant, une excursion à Chamonix avec des amis - c'est là que lui vient l'idée de descendre le couloir Spencer à l'Aiguille de Blaitière. L'interview commence par ses explications à ce sujet.

B : Comment était-ce dans les années 60 quand Sylvain Saudan a fait "l'impossible""? D'où est venue l'idée ?

S : Voici ce qui s'est passé : Je n'ai jamais discuté avec quelqu'un pour savoir si une descente était possible ou non. Je savais si une descente avait déjà été faite ou non, et je n'ai pas eu besoin de demander à quelqu'un ce qu'il pensait de ce projet. Car si cette personne avait estimé que c'était possible, quelqu'un d'autre l'aurait déjà fait. C'est logique, il y a toujours eu des hommes ambitieux. Mais comme je savais que cela n'avait jamais été fait, je n'avais pas besoin de demander à quelqu'un si c'était possible. La descente du Spencer 1967 a été la première descente sur un terrain qui appartenait auparavant exclusivement aux alpinistes. Il y avait bien, à l'intérieur des cercles d'alpinistes de Genève, des discussions et des connaissances sur la manière de descendre quelque chose comme le Spencer. Lionel Terray, Lachenal, Rébuffat, tous les grands étaient conscients de la chose. Au sein du Club Alpin, on a même offert 5.000 francs suisses à celui qui descendrait le couloir à ski. Terray et Lachenal sont même montés et ont décidé d'arrêter l'entreprise à environ la moitié. Mon matériel était meilleur que le leur, notamment les chaussures, et ils se sont rendu compte à l'époque qu'avec leur matériel des années 50, ce n'était pas possible. Ils étaient les meilleurs alpinistes de leur époque et aussi de très bons skieurs - ils ont pensé à faire quelque chose comme ça. Mais ils n'ont jamais pu le réaliser!

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Je n'ai moi-même appris l'existence de ces projets de Terrays et Lachenals qu'après coup. A Chamonix, il y avait à l'époque l'Hôtel de Paris". C'était à côté de la poste, ce n'est plus un hôtel aujourd'hui. C'est là que descendaient tous les grands skieurs, aventuriers, alpinistes de l'époque et il y avait une sorte de compétition pour les premières ascensions. Bonatti, etc. y était aussi. Le propriétaire du bar de l'hôtel m'a parlé de leur projet le lendemain de mon départ. Nous avons aussi demandé à Jean Juge de Genève, qui connaissait bien les alpinistes de Genève, et il a pu confirmer l'histoire.

Pour ma part, je n'en ai jamais parlé quand je voulais descendre quelque part. A part mes amis qui m'ont aidé à porter les skis, je n'ai rien dit à personne. Mais après la descente, oui, bien sûr ! Pour informer les sponsors et la presse. Avant une descente, j'étais sûr de pouvoir la faire. Je ne suis jamais descendu quelque part si je n'étais pas sûr de moi ! Je ne voulais pas jouer à la roulette russe.

Cette sécurité est très difficile à décrire : il y a quelque chose qui sommeille en toi, une connaissance de qui tu es. On ne peut pas l'apprendre à l'université, mais on le sent. Ensuite, il est difficile d'évaluer les risques d'une entreprise quand on s'y expose soi-même. Il faut pouvoir évaluer les difficultés sans être à sa place. Si l'on y parvient, on connaît à l'avance le résultat de son projet. Il n'y a pas de "clic" dans la tête, il faut le provoquer consciemment.
Mes descentes ont eu une progression en elles-mêmes, j'ai commencé par le Spencer et j'ai terminé par un 8000, avec des étapes intermédiaires à 6000 et 7000. Comme les grands alpinistes. Messner, par exemple, a aussi progressé, jusqu'à l'ascension des 8 000 sans oxygène supplémentaire. Lorsque les voies normales ont été toutes explorées, les alpinistes se sont tournés vers des itinéraires plus difficiles.

B : Y a-t-il encore une progression dans le ski de pente raide aujourd'hui?

S : Non, je n'en vois plus. Toutes les descentes difficiles ont déjà été effectuées, celles sans corde en tout cas. Avec une corde, on pourrait sans doute encore descendre le "Grand Cappuzin"", la face nord de l'Eiger, la face nord des Grandes Jorasses. On pourrait descendre en rappel, puis refaire quelques mètres à ski, puis redescendre en rappel. J'exagère un peu, mais c'est ce qui reste aujourd'hui. Mais je suis peut-être injuste envers le progrès, on ne sait pas ce qui sera encore possible à ski ! Mais dans les Alpes, il n'y aura probablement plus de progression. C'est comme pour l'alpinisme, la progression se fait aussi dans l'Himalaya.

B : Aujourd'hui, il y a aussi des skis plus larges qui sont plus faciles à tourner, avec lesquels on peut aussi skier rapidement dans de grandes pentes.

S : Oui, mais personne n'a jamais skié le Gervasutti aussi vite et de manière aussi fluide. Personne n'a pu reproduire mes descentes dans ce style moderne, ni le Whymper ni le Spencer. Et personnellement, je ne veux pas me retrouver dans une pente raide de 55° avec des skis larges. Des skis plus étroits sont beaucoup plus stables et agréables. Je l'ai déjà testé entre-temps. Les chaussures de ski sont également une fabrication spéciale, aplaties sur les côtés extérieurs pour éviter de toucher les pentes raides. Sinon, j'aurais glissé sur la carre.

B : L'ère Saudan a duré une quinzaine d'années et s'est terminée avec le 8000?

S : Spencer, Eiger 69', ça a intéressé la presse et à l'époque il y avait un journal télévisé dans les salles de cinéma en France et ma descente passait partout. Je n'étais déjà plus très jeune à l'époque et quand on m'a demandé si j'arrêtais le ski de pente, j'ai répondu que mon objectif était de descendre un sommet de 8000 mètres à skis. C'était pour moi une étape importante, c'était un terrain qui n'appartenait qu'aux alpinistes et si j'y arrivais, tout me serait possible. En l'espace de 15 ans, j'ai réalisé cette évolution.

B : Quelle était ma motivation?

S : Eh bien, il est difficile de répondre à cette question. Après l'ascension de l'Eiger, ma motivation était clairement de créer une progression, une évolution. De plus, je voulais repousser mes propres limites plus loin. Je ne voulais pas faire la même chose ailleurs, je voulais toujours faire quelque chose d'encore plus difficile. Dans les Alpes, on peut se reposer le soir, on mange bien, on se couche pour se reposer et le lendemain matin, on repart. Au Mont McKinley, nous avons d'abord dû affronter 23 jours de marche jusqu'à la montagne. On y dort dans des tentes. Ensuite, quand on va vers les 8000 mètres, c'est encore différent. Et si l'on veut en même temps réaliser un film sur l'action, la logistique s'ajoute. Nous avions alors besoin de 340 porteurs. Cela coûte de l'argent et on a une plus grande pression pour réussir. Pas de la part des sponsors, on se l'impose à soi-même. Et quand on arrive à 8000 mètres, ce n'est pas comme ici sur une montagne. On arrive et on doit ensuite descendre sur un autre versant. Là où il n'y a pas encore de traces ! Les conditions sont très différentes. Ce n'est pas comparable avec les Alpes. C'est pourquoi je parle d'évolution et si quelqu'un l'imite, je lui tire mon chapeau pour sa performance. Sur le McKinley, il y avait à l'époque deux alpinistes qui descendaient et qu'on n'a jamais retrouvés. Ce genre de choses n'arrive pas dans les Alpes.

Pour moi, l'aventure, c'est quand on se rend dans un endroit isolé et qu'on y accomplit quelque chose de stimulant que personne n'a jamais fait auparavant. Si quelqu'un l'a déjà fait auparavant, on a réussi une aventure pour soi-même, mais ce n'est plus une aventure au sens propre du terme.

C'est pour cela que je suis dans le livre des 50 plus grands aventuriers des 200 dernières années. J'ai fait quelque chose que personne n'avait osé faire auparavant. Bien sûr, j'ai osé ces entreprises en premier lieu pour moi-même, pour d'autres je me suis engagé comme moniteur de ski ou guide de montagne. Mais l'aventure était pour moi seul, elle m'a fait progresser personnellement. C'est l'essence même de l'aventure, le deuxième, le troisième ou le quatrième ont bien sûr aussi vécu une aventure pour eux-mêmes, mais leur performance peut tout au plus être comparée sous la forme de meilleurs temps.

Les premiers à avoir osé quelque chose sont les vrais aventuriers, peu importe la rapidité ou l'élégance avec laquelle quelqu'un d'autre répète quelque chose. Ce qui compte, c'est le premier. Mais : il n'est pas toujours bon d'être le premier. Nous sommes ici à Chamonix, au cœur de la montagne. Pour un guide de montagne, monter le couloir Spencer avec des clients fait partie du métier. A l'époque où je l'ai parcouru pour la première fois, cela coûtait 800 francs (note : l'équivalent serait aujourd'hui de 120,- euros). Puis vient quelqu'un qui descend cette randonnée à ski. Cela augmente bien sûr la valeur de la descente, mais cela réduit aussi massivement le prix de la montée. On est alors certes le premier à avoir réussi quelque chose, mais tout le monde dit que cela ne sert à rien et que cela réduit en même temps une bonne source de revenus auparavant. Ce raisonnement était courant à l'époque. On disait que j'étais un fou, on essayait de maintenir la valeur de l'ascension malgré ma première expérience en diminuant mes performances. C'est pourquoi il n'était pas toujours bon d'être le premier à monter. On nous reprochait de casser le business. On ne le reprochera jamais au second. Je suis sorti de l'espace d'action des skieurs et j'ai fait quelque chose qui a nécessité une nouvelle évaluation de l'alpinisme.
Il fallait changer l'attitude vis-à-vis de la performance sportive. De l'extérieur, le niveau des professionnels de la montagne, des guides et des moniteurs de ski, était désormais réévalué, ce qui ne réjouissait évidemment pas particulièrement ces professionnels. Le temps qu'ils s'adaptent à la nouvelle situation.

B : Quelle réponse à ces accusations a été donnée par Sylvain Saudan à l'époque?

S : Je n'ai jamais donné de réponse. Cela n'aurait servi à personne et surtout, cela m'aurait pris du temps pour me justifier. Dans ce genre de choses, ce n'est pas mon problème de savoir comment les autres réagissent à mes actions. Point final. Bien sûr, certains ont prétendu que j'avais simplement eu de la chance, mais je les ai démentis en améliorant systématiquement mes descentes. On me reprochait d'être fatigué de la vie, d'agir de manière irresponsable - et j'ai même dépassé mes performances!

B : Et comment a-t-on pu gagner de l'argent avec ça?

S : Eh bien, j'ai eu de la chance que l'on ait remarqué au club alpin de Genève qu'il se passait quelque chose, à la limite du ski, que quelqu'un explorait de nouvelles voies. J'ai ainsi pu tourner mon premier film avec des sponsors. Sur l'Aiguille de Bionnassay. Il n'était pas encore très professionnel, mais il a tout de même été bien accueilli et souvent montré. Et à partir de là, j'ai eu de bons sponsors, jusqu'à il y a cinq ans environ, c'est-à-dire pendant bien plus de 25 ans. J'ai toujours de bonnes relations avec mes anciens sponsors, notamment parce que je continue bien sûr à donner des conférences sur mes films, mon équipement que je montre ensuite, etc. Il n'est pas facile de faire parler de soi sur une longue période, cela ne fonctionne que si l'on s'entoure des meilleures personnes pour produire le meilleur produit possible. Dans mon cas, il s'agissait de films. Il est important pour les sponsors d'atteindre un grand nombre de personnes sur une longue période. C'est ce qui s'est passé lorsque l'expédition dans l'Himalaya a rencontré de gros problèmes. Elle a échoué, mais elle avait coûté 300 000 dollars à l'époque. Ce n'était évidemment pas l'image que l'on souhaitait. Mais cela fait aussi partie du jeu, il faut l'accepter. Et ça a continué jusqu'à ce que ça marche. Pour tourner le film sur la prochaine expédition, j'avais besoin de 500 000 dollars, dont la moitié a été prise en charge par des sponsors. L'autre moitié, j'ai dû la trouver moi-même. Un gros risque, peut-être plus grand que la descente elle-même.
Salomon m'a donné 250.000 dollars ! Ils ont dit que le gars devait maintenant le prouver à tout le monde, qu'il le voulait vraiment. Et ils étaient convaincus que j'y arriverais cette fois-ci. C'était donc une coopération très harmonieuse, ils croyaient en moi et je pouvais donc faire ce que je devais faire.

Aujourd'hui, il est devenu beaucoup plus difficile de mener des actions de cette envergure. Je pense que cela est dû en partie à Internet. Le monde devient plus petit et tout le monde peut être n'importe où dans le monde, n'importe quand. Le côté mystérieux, le côté mythique se perd. D'autre part, la valeur d'un film sur de telles aventures a diminué, il est vite consommé et ensuite oublié. A l'époque, mes films ne me permettaient pas seulement de vendre quelques images. J'incarnais un style de vie et cela aussi n'est plus guère possible aujourd'hui. Grâce aux téléphones portables et aux téléphones satellites, on est constamment en contact avec la civilisation. On peut organiser des actions de secours, on peut donner des informations sur l'endroit où l'on se trouve. Tout cela enlève évidemment beaucoup à la véritable aventure. Il ne reste donc plus guère de véritables aventures aujourd'hui. De mon temps, nous étions livrés à nous-mêmes. Pendant des jours, sans nourriture, avec les orteils et les doigts gelés, sans possibilité de contact avec qui que ce soit. Mais une vraie aventure, c'est aussi de ne pas avoir de "plan de repli" qui soit toujours là. Pas un hamac d'urgence, mais un vrai danger. C'était encore très différent à l'époque. Même sur les mers du monde, on ne pouvait pas simplement téléphoner et appeler à l'aide. Le public a également changé. Si quelqu'un volait aujourd'hui nu en parapente de l'Everest au camp de base et qu'il ne portait que des sandales, on lui demanderait aujourd'hui : "Mais pourquoi tu portes des sandales ? Cette question ne serait jamais venue à l'esprit des journalistes autrefois. Aujourd'hui, nous sommes habitués à toutes sortes de choses. Autrefois, nous avions encore de la liberté, nous pouvions partir et il y avait beaucoup d'aventures. Ceux qui veulent encore faire quelque chose de ce genre aujourd'hui ont beaucoup plus de mal que nous à l'époque.

Sauf dans l'Himalaya et dans des endroits aussi reculés, il n'y a pratiquement plus de possibilités de vivre de vraies aventures. Mais les grandes aventures ont déjà eu lieu, c'est fini ! Sauf dans le domaine technique, par exemple lorsque quelqu'un survole l'Atlantique avec un mini-hélicoptère pour voir si c'est possible. Ça, c'est encore une vraie aventure. Et il reste bien sûr l'espace, mais c'est aussi très technique. Partout où personne ne peut vous dire comment faire, il y a encore aujourd'hui des aventures. L'aventure, c'est aller là où personne n'est allé, là où il n'y a pas de chemin, là où personne n'a encore prouvé que c'était possible. Cela a toujours été le cas lors de mes ascensions, personne ne l'avait encore fait. En particulier sur le McKinley et dans l'Himalaya. Les skis y glissent aussi vite qu'ici. Mais les muscles, toutes les impressions sensorielles et les pensées sont beaucoup plus lentes. On ne le sait pas avant, quelqu'un doit l'avoir fait et vécu.

Mais des aventures personnelles, il y en aura toujours, par contre. Quelqu'un qui a vécu dans son village pendant 50 ans et qui prend l'avion pour la première fois vit aussi une aventure, mais une aventure que beaucoup de gens ont vécue avant lui. Si je naissais aujourd'hui, ma vie serait probablement très différente. J'ai eu la chance d'être au bon endroit au bon moment pour suivre mon talent et réaliser mes objectifs. Je n'envie pas les jeunes d'aujourd'hui, je ne sais pas ce que je ferais avec la vie moderne. Peut-être qu'il se passerait quelque chose, mais je ne sais pas.

Photos historiques de Saudan dans l'Himalaya:

B : Le ski de pente raide d'aujourd'hui est devenu assez technique. Le rappel en fait souvent partie. Que penses-tu de cela ?

S : Je suis totalement contre. Cela prend beaucoup de place. Si on a une corde ou un parachute, tout devient beaucoup plus simple. Avec ces moyens, tout le monde peut le faire. On sait que si on tombe, on ne risque rien. Dans les endroits plus difficiles techniquement et psychologiquement, il suffit de descendre une corde et tout le monde peut alors descendre ces endroits. Du moins, tous ceux qui savent descendre en rappel. On peut ainsi descendre n'importe quelle paroi rocheuse en rappel, à ce que l'on appelle la limite. Le simple fait d'avoir un sac à dos avec une corde dedans change la donne, car on sait qu'on peut se sauver. J'ai toujours fait mes descentes sans sac à dos et sans corde, uniquement à ski. Et là, c'est complètement différent ! On est beaucoup plus conscient du danger, la pression augmente énormément, beaucoup plus d'aventure. C'est pourquoi je dis qu'une descente avec corde n'a pas la même valeur, pas la même qualité.

B : Alors qu'en est-il des descentes qui ne seraient pas possibles sans un rappel?

S : Si ce n'est pas possible sans, alors ce n'est pas possible en tant que descente à ski. Peut-être qu'un jour, il y aura quelqu'un qui pourra le faire uniquement à ski. Si 48 heures avant ma descente du couloir Spencer, on m'avait demandé si c'était possible, la réponse aurait toujours été que ce n'était pas possible, mais que peut-être un jour quelqu'un viendrait le faire. Il en va de même aujourd'hui.

B : Les possibilités de descente uniquement à ski sont donc peu nombreuses, elles sont limitées.

S : Tout est limité ! Il n'y a pas non plus beaucoup de nouvelles ascensions de sommets ! Il n'y a d'ailleurs plus de sommet de 8000 mètres que l'on pourrait escalader en premier. Mais dans l'Himalaya, il y a encore d'innombrables descentes qui peuvent être parcourues en premier à ski. Pourquoi les premiers skieurs potentiels ne vont-ils pas plus souvent dans l'Himalaya et apportent-ils des preuves de leurs descentes ? Je suis revenu avec un film de ma descente de 8000 mètres ! Tout comme les alpinistes apportent une preuve de leur ascension, les skieurs doivent montrer une preuve de leur descente.
Le ski de pente raide est en effet quasiment de l'alpinisme inversé, c'est la descente qui compte. Je suis le premier à accepter de vraies preuves ! Il y a malheureusement beaucoup d'exemples de menteurs qui se photographient en train de descendre une montagne avec une trace de ski en arrière-plan, il y en a beaucoup. Mais c'est aussi très facile à manipuler.

B : Pourquoi les gens prennent-ils de tels risques?

S : C'est difficile de répondre à cette question. Je pense que chaque personne fait ce pour quoi elle est faite. Ce n'est malheureusement pas vrai partout, beaucoup de gens doivent vivre sous la contrainte et ne sont justement pas libres de faire ce pour quoi ils sont faits. Mais ceux qui ont la chance de grandir librement et de trouver leur voie très tôt, ce qui n'était pas vraiment le cas pour moi puisque j'avais déjà plus de 30 ans lorsque j'ai commencé à faire du ski extrême, peuvent ainsi se réaliser et prendre des risques pour cela. Ce que je veux dire, c'est qu'il y a des gens qui sont nés pour l'aventure, qui la reconnaissent et qui la mènent à bien. Ils vivent cette attitude jusqu'au bout. C'est en tout cas ce que je ressens.

En revanche, je rejette une vie qui doit être "coûte que coûte" à la limite". Le but de la vie, à mon sens, est justement de vivre longtemps et avec persévérance la vie que l'on a imaginée, de ne pas la mettre en jeu à la légère. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas tout mettre dans la balance de temps en temps, mais il faut le faire de manière réfléchie et intelligente afin de tirer le maximum de soi-même. Aujourd'hui, je suis le banquier de mes possibilités physiques, qui malheureusement diminuent avec l'âge, mais c'est ainsi que chacun doit gérer son budget. Chaque fois que j'arrivais à ma limite, je me rendais compte qu'il y avait encore une petite réserve. Une fois à la limite, j'ai vu un peu plus loin et j'ai poussé la réserve un peu plus haut. Physique et technique - les deux vont de pair. Tout le monde croit toujours que la performance maximale dépend uniquement d'un succès maximal à l'entraînement, mais ce n'est pas vrai - il faut avoir la bonne attitude mentale pour pouvoir réaliser la performance. Et ce n'est pas seulement vrai pour le ski de pente raide, cela s'applique à tous les domaines de la vie.

B : Comment as-tu trouvé cette attitude mentale?

S : A dix ans, je gardais les vaches et les moutons dans l'alpage de mon père. Je devais passer la nuit dans une cabane trouée, avec notre chien. Cela durait 40 jours, de temps en temps mon père venait voir si tout allait bien. Il y avait un haut plateau sur lequel je me trouvais avec les animaux, deux cents mètres plus bas se trouvait la source. Le chemin qui y menait était escarpé et tout à fait dangereux. Je devais y descendre tous les jours pour aller chercher de l'eau pour le bétail. Pour un enfant de dix ans, c'était un travail difficile. Je descendais donc avec les animaux qui pouvaient se déplacer le plus sûrement pour les abreuver. Ensuite, je suis remonté avec eux. Environ la moitié du troupeau arrivait ainsi à l'eau, je devais continuer à monter l'autre moitié de l'eau, mais c'était nettement moins de travail. Mon père m'avait cependant toujours dit que je n'avais pas le droit de faire cela, pour ne pas mettre en danger les précieuses bêtes. Mais je ne le lui ai pas dit et j'ai effacé les traces de pas. Bien sûr, il l'a quand même remarqué. Il m'a interpellé : "Sylvain, je t'avais interdit de conduire les animaux à la source". Je lui ai répondu que j'avais choisi les plus aptes, ceux qui avaient le pied le plus sûr. A partir de là, j'ai pu continuer à descendre avec eux jusqu'à la source. Mon père avait accepté mon choix réfléchi et me faisait confiance. C'est à cette époque que l'aventurier a grandi en moi, j'ai osé faire les choses que je voulais faire après y avoir réfléchi.

Premières ascensions de Saudi :

Avril 1967 - Rothorn Rinne
Mai 1967 - Piz Corvatsch Nordwand
23 septembre 1967 - Aiguille de Blaitière - Spencer Couloir
10. Juin 1968 - Aiguille Verte - Couloir Whimper
17 octobre 1968 - Mont Blanc du Tacul - Couloir Gervasutti
10 juin 1969 - Monte Rosa - Couloir Marinelli
6 octobre 1969 - Aiguille de Bionassay - Face Nord
9. mars 1970 - Eiger - face nord-ouest
3 mars 1971 - Mount Hood - couloir nord-est
11 avril 1971 - Grandes Jorasses - face sud
9-10 juin 1972 - Mount McKinley (Denali) - face sud-ouest
24 juin 1973 - Mont Blanc - face sud-ouest
26 juin 1977 - Nun Kun (7.135m) dans l'Himalaya
27-28 juillet 1982 - Gasherbrum I (Hidden Peak, 8.068m) dans l'Himalaya
23 septembre 1986 - Mont Fuji le jour de son 50ème anniversaire - sans neige

Sylvain Saudan le savait bien avant Candide Thovex : pour skier, on n'a pas forcément besoin de neige.

Saudan, une personnalité controversée

Sylvain Saudan est aussi critiqué à certains endroits. Alors, passons à l'action - qu'est-ce qui peut être critiqué dans la carrière de Monsieur Saudan et pour quoi il faut lui rendre hommage sans jalousie?

Pour commencer, les points critiques:
D'une part, il y a bien sûr le fait que Sylvain a manifestement et globalement peu de premières ascensions à son actif. D'après mon décompte, il y en a 12. Comparé à d'autres, Pierre Tardivel, Stefano de Benedetti ou Heini Holzer, c'est ridiculement peu - parmi ces messieurs, chacun compte plus de 100 premières ascensions confirmées. Pourquoi donc cet engouement pour Saudan ?

En outre, aucune de ses premières ascensions n'était excessivement difficile selon les critères actuels et probablement même de l'époque. Il admet lui-même que dans les cercles d'alpinistes, on discutait déjà de la réalisation de telles entreprises. D'autres exemples : L'ascension de la gorge de Pallavicini avec des glisseurs de névé au début des années 1960 ou la face nord du Fuscherkarkopf au milieu des années 1930 sur des skis en bois mal en point et avec des bottes en cuir étaient déjà en quelque sorte d'une difficulté comparable.

Pendant ses descentes, Sylvain Saudan a souvent eu recours à des porteurs pour le matériel, skis compris. Il n'enfilait souvent sa tenue de skieur qu'au début de la descente, passant ainsi du statut d'alpiniste à celui de skieur. Cela va assez à l'encontre de l'éthique désormais en vigueur, selon laquelle les descentes ne comptent que si elles ont été gravies auparavant par ses propres moyens. Il existe même une sorte de "manifeste" d'Anselme Baud et de Patrick Vallençant à ce sujet. Cependant, les premiers adeptes des parois raides ne se préoccupaient pas encore de questions éthiques, ils voulaient simplement être les premiers à descendre quelque part - la manière dont ils sont montés n'avait pas d'importance.
Deux sources m'ont rapporté que tout ne s'est peut-être pas passé correctement, en particulier lors des descentes extra-européennes. Quoi exactement, si les descentes ont été effectuées sur toute leur longueur, si tout a été skié, quelle a été l'aide extérieure, tout le monde reste obstinément muet à ce sujet. Mais lorsqu'ils entendent le nom de Saudan, ils secouent la tête. Il m'est impossible de vérifier exactement ce qui s'est passé - un chapitre sur lequel on a gardé le silence.

Il a fait son truc - sans regarder à gauche ni à droite. Il n'avait pas ou peu d'échanges avec les autres membres de sa profession. Un solitaire donc, qui va jusqu'au bout de sa démarche, sans se soucier ou presque des pertes.

Ce que Saudan a réussi à faire:
Il était l'homme qu'il fallait, au bon endroit, au bon moment - et il le savait. Grâce à son flair et à sa capacité à enthousiasmer les représentants de la presse pour ses histoires, il a pu atteindre un énorme public. C'est la seule façon de faire connaître le ski de pente. Les idées mûrissent, la technique et la perception évoluent au fil du temps. Il fallait précisément ce type à ce moment-là pour qu'une nouvelle discipline de l'alpinisme voie véritablement le jour. Aucun skieur de paroi raide n'a réussi avant ou après à susciter une telle attention de la part des médias. Saudan était "mainstream"" - ses films passaient en boucle dans les cinémas et étaient vus par tous, de l'alpiniste amateur à la mère de famille. Le monde entier connaissait le skieur de parois raides qui avait descendu l'Eiger.

Il avait le sens de la bonne action au bon moment, à tel point qu'il effectuait les descentes les plus médiatiques au meilleur moment. Rétrospectivement, l'intervalle entre ses actions était idéalement calculé pour maintenir une pression médiatique élevée et constante pour sa cause. D'abord, chaque année, quelques actions violentes, pour l'époque, étaient placées de manière à ce que l'on se souvienne toujours de lui, puis les pauses étaient si longues que ses expéditions étaient attendues avec juste ce qu'il fallait de suspense. Aujourd'hui encore, toute personne impliquée dans le marketing peut y jeter un œil de plus près afin d'apprécier la stratégie sous-jacente.

A l'époque, presque tout le monde avait du mal à gagner de l'argent avec des sponsors pour des performances sportives. Les pilotes de Formule 1 et les footballeurs professionnels gagnaient leur vie, mais pas les alpinistes, qui n'avaient qu'un hobby sérieux. Hermann Buhl, le premier grimpeur du Nanga Parbat, devait encore travailler très régulièrement comme guide de montagne et vendeur de matériel sportif pour pouvoir gagner sa vie dix ans auparavant. A l'époque aussi, les grands alpinistes étaient pour la plupart des particuliers fortunés qui n'avaient pas besoin d'injections financières. Sylvain Saudan a d'abord été chauffeur de camion, puis moniteur de ski ! Les réserves financières devaient être à la hauteur.

Collecter suffisamment de fonds de sponsoring pour une discipline entièrement nouvelle afin de pouvoir s'offrir une voiture de sport n'était certainement pas facile. D'un autre côté, il s'agissait aussi à l'époque d'atteindre les dernières limites. En ce sens, Sylvain avait là aussi parfaitement saisi l'esprit du temps. Aujourd'hui, de nombreux professionnels du freeride seraient heureux de gagner autant que Saudan à l'époque. Grâce à la combinaison de films, de reportages, de conférences et de sponsors, cela suffisait "bien".

Les sportifs de montagne se méfient toujours du marketing et du sponsoring, un peu comme les artistes, les musiciens ou les acteurs. Sylvain Saudan a su, dans le contexte de l'époque, être dans l'air du temps et en faire un modèle économique qui le nourrira correctement toute sa vie. Celui qui décide aujourd'hui de mener une vie de sportif professionnel, d'artiste ou autre, trouvera en Saudan un modèle de réussite. Les mécanismes n'ont probablement pas tant changé que cela - tout est simplement devenu beaucoup plus rapide.

Ses descentes n'étaient bien sûr pas aussi trivialement simples que celles évoquées ci-dessus. Outre le flair pour trouver les bonnes descentes au bon moment, il avait bien sûr aussi la capacité, en tant que skieur et alpiniste, de s'engager réellement dans l'aventure. Lors de nos entretiens, il a toujours souligné qu'il jouait toujours la carte de la sécurité et qu'il ne lui était jamais arrivé quelque chose de grave. Il s'en est pourtant fallu de peu à plusieurs reprises - et sa première expédition s'est très mal passée. Aujourd'hui encore, les expéditions se passent mal. À l'époque, on ne savait pas encore tout. Il était simplement un excellent planificateur, un stratège, intrépide et peut-être un peu naïf. C'est exactement ce dont on a encore besoin aujourd'hui.

Malgré toute cette publicité et cette attention, il est resté un homme très sympathique, ouvert et gentil. On ne peut en tout cas pas lui attribuer les allures d'une diva. Bien sûr, il est le centre de l'attention dans son univers, mais on ne peut pas lui en vouloir - après tout, c'est lui qui a créé cet univers.

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Conclusion:

J'ai découvert Sylvain Saudan comme quelqu'un de gentil, sympathique et surtout exceptionnel, dont on peut apprendre beaucoup. J'ai eu beaucoup de plaisir à l'interviewer au téléphone et en direct. Il a d'abord été assez difficile de le joindre, car il a passé beaucoup de temps au Cachemire pour diriger son entreprise. (À plus de 70 ans, cela ne doit pas être le cas de beaucoup de gens). Je ne sais plus combien de fois je lui ai envoyé des e-mails et laissé un message sur sa boîte vocale. Souvent ! En fait, j'avais déjà renoncé - tout le monde n'est pas joignable, et encore moins pour des types qui veulent faire une interview. Mais à un moment donné, mon téléphone a sonné et je n'ai pas su qui m'appelait. Il était aimable et prévenant et m'a invité à venir chez lui à Chamonix. Cela m'a montré qu'il ne se reposait certainement pas sur ses lauriers et qu'il restait l'homme d'action vif que l'on connaît en tant qu'observateur de sa carrière. J'ai également été surpris par sa franchise face aux critiques, qu'il a ensuite habilement contournées par la rhétorique. Il se voit comme étant exactement ce qu'il est - celui qui a eu la chance d'être sur place à un moment donné, qui avait les compétences et les contacts correspondants et qui a mis tout cela dans le même panier pour appeler cela une carrière. Il y est sans aucun doute parvenu, et c'est pour cela qu'il mérite définitivement la gloire d'être le premier vrai skieur de pente raide - car sans lui, tout cela aurait pris beaucoup plus de temps. Pour mes recherches, j'ai parlé avec un grand nombre de skieurs alpinistes et tous ceux qui sont venus après lui l'ont désigné comme un modèle.

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